17 mai 2016

Hoser Story : no kill like a gun kill !

Dans la seconde moitié des années 1970, le Department of Defense américain organisait un programme d'évaluation tactique aérien. Baptisé ACEVAL/AIMVAL - pour Air Combat EVALuations/Air Intercept Missile eVALuation - ce programme était destiné à mesurer l'efficacité des avions dernier cri de l'US Navy et de l'US Air Force dans des situations de combat auxquelles on estimait alors qu'ils risquaient d'être confrontés, c’est-à-dire opposés à des appareils moins performants et moins technologiques, mais beaucoup moins chers, donc plus nombreux, et emportant des missiles air-air de pointe.


De 1974 à 1978, sur la base de Nellis dans le désert du Nevada, des F-15 de l'Air Force et des F-14 de la Navy - la Blue Force - se livrèrent ainsi à une multitude de combats aériens simulés contre des "agresseurs" F-5E et TA-4 - la Red Force. Nombre de tactiques et de procédures en furent retirées, ainsi que des orientations stratégiques qui ont marqué l'aviation militaire américaine des décennies à venir.
Pour mener à bien ces tests, la crème de la crème des pilotes fut détachée à Nellis par la Navy et l'Air Force. Joe Satrapa - callsign "Hoser" ou "D-Hose" - qui à l'époque volait sur F-14A à la VX-4 (une escadrille d'essais en vol basée à Point Mugu en Californie) était de la partie.

Nevada.

Il faut imaginer l'ambiance.
Les pilotes et RIO de l'US Air Force et de l'US Navy, des personnages aux égos énormes et aux compétences parfaitement affûtées, ayant quasiment carte blanche pour jouer avec des avions coûtant plusieurs millions de dollars. Des journées rythmées par des sorties de combats simulés intenses de quelques dizaines de minutes : décollage, transit vers la zone d'engagement, séparation, merge à plus de 1500 km/h de vitesse relative, fight's on, une à deux minutes d'engagement, une fois, deux fois, tant qu'on a du fuel, knock it off, retour à Nellis au ras du désert poussé par les deux grandes flammes de post-combustion, break à 500 nœuds en passant les chiffres de la piste parce que "si on ne peut pas avoir la classe, ce n'est même pas la peine de se lever le matin". Les débriefings sans concessions où étaient analysés les enregistrements de vol sur des ordinateurs qui aujourd'hui nous paraissent primitifs, mais étaient le summum de la technologie de l'époque. Des tableaux de scores, informels mais primordiaux, listant les kill ratio des équipages. Les soirées passées à imaginer des tactiques toujours renouvelées pour s'adapter aux tactiques toujours renouvelées des adversaires de la Red Force. Bien que l'Air Force et la Navy aient été dans le même camp lors des engagements simulés contre les agresseurs de la Red Force, on imagine aisément que les rivalités étaient grandes, et la tentation de se mesurer face à face à ses homologues de la branche armée d'à côté pressante.

Une salle de débriefing dans les années 1970 à Miramar (Top Gun).

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C'est D-Hose qui raconte. Je traduis, reformule et remet en forme.
Les parties en gras font l'objet d'explications supplémentaires plus bas.
Et ça, c'est pas des conneries !

Vers la fin de AIM/ACE VAL, l'ambiance avait pas mal chauffé entre les pilotes d'Eagle et ceux des Turkey.
Après les dogfights de haute volée qui opposaient chaque jour les Tomcats et Eagles de la Blue Force aux F5Es, les pilotes se retrouvaient souvent au bar de la base de Nellis. Les conversations entre les gars de la Navy et ceux de l'Air Force y étaient inévitablement saupoudrées de challenges plus ou moins sérieux, et de sous-entendus plus ou moins moqueurs quant aux capacités des pilotes rivaux. Comme la hiérarchie de l'Air Force avait formellement interdit aux conducteurs de F-15 de ne serait-ce que penser à croiser le fer avec les Tomcats (sous peine de cour martiale, d'être expédié à Hong Kong pour piloter des avions cargos chargés de merdes de chien en plastique, voire de voir son anniversaire révolu), ces bravades n'avaient jamais été mises à l'épreuve de la réalité.

Ce n'est que quand les sorties de test furent finalement terminées que quelques instructeurs sur F-15 de la 415ème escadrille finirent par mordre à l'hameçon. "Turk" Pentecost et moi-même étions leurs adversaires. Turk était loin d'être aussi sûr de lui, arrogant ou turbulent que D-Hose, mais il était tout aussi agressif, malin, sournois, et absolument aussi bon pilote.
Nous nous mîmes d'accord sur la stratégie : une formation très large, avec une séparation d'altitude de 10000 pieds entre nos F-14, et une identification radar de l'ennemi à 25 milles nautiques par Bill "Hill Billy" Hill et "Fearless" Frank Schumacher. Les missiles radar et thermiques tirés avant le merge ne comptaient pas. Après le merge, c'était au canon uniquement. La formation relâchée permettrait à Turk et D-Hose de séparer l'engagement en deux combats un contre un, avec un Turkey au-dessus, l'autre en bas, et beaucoup de séparation latérale.

Alors que leur Tomcat se rapprochaient de la zone de combat, Hill Billy et D-Hose, confiants, visualisaient déjà leur Eagle virtuellement abattu au canon à 250 pieds de distance. A la radio :
- D-Hose : "Où es-tu Turk ?"
- Fearless : "Juste au-dessus de toi Hoser."
- D-Hose : "On a deux contacts ! Qui passe devant ?"
- Turk (modérément vexé) : "A ton avis ?"
Les deux Eagles furent abattus, "Knock it off" annoncé sur la fréquence, et les Tomcats sont rentrés à la base, couronnant l'action par un break à Nellis à 500 nœuds, 6.5 g, une demi-seconde… Notre salut et marque de respect à l'excellent personnel de maintenance de la VX-4.
Je savais que la pellicule de la caméra-canon de mon Tomcat serait détruite par le labo photo de Nellis. Elle fut donc discrètement envoyée à une connaissance chez Grumman, où elle put être développée.

Environ un mois plus tard, le 6 décembre, le général Knight nous rendit une visite tonitruante. Accompagné de deux officiers béni-oui-oui, il exigea de savoir "qui et où sont Hoser et Turk ?". Falcon (J.W. Taylor), OinC, se leva pour demander comment il pouvait aider. Le général répondit :
-"Vos champions de pilotes de chasse n'ont pas la moindre idée d'à quel point leurs bouffonneries impactent d'importantes décisions politiques !"
Et comme le général Knight nous l'expliqua alors, il s'avère qu'à l'époque, le Japon avait un engagement d'achat pour vingt-et-un F-15, mais qu'un article dans le magazine Aviation Week avait évoqué que le F-14 lui était supérieur. Avec une photo issue d'un film de caméra canon pour appuyer ces informations. Le Japon réfléchissait à présent à acheter des F-14 à la place.
Le général précisa à J.W. qu'il voulait toutes les copies du film, les cassettes TVSU/VCR, et les enregistrements audio, sur son bureau avant 0900 le lendemain. Il était évidemment très remonté en arrivant à Nellis, mais devant l'attitude contrite et humble adoptée par Turk et D-Hose, il considéra sa mission accomplie. Bien entendu, D-Hose et Turk n'avaient aucune envie de mettre la communauté des F-15 dans l'embarras, et ils ne parlèrent plus jamais de cet incident… Jusqu'à aujourd'hui !
Encore quelques mois plus tard, de retour à la VX-4, D-Hose demanda à J.W. :
- "Hé Falcon, je sais que tu t'es gardé une copie de cette pellicule 16mm. Alors, elle est où ?"
J.W. disparu un instant, et revint avec le film que j'ai maintenant à la main.

L'une des photos affichées dans ma "war room" est une image extraite d'un film 16 mm de caméra canon. On y voit un F-15 au travers du HUD d'un F-14, verrouillé radar, à une distance de 250 pieds, vitesse relative zéro, collimateur sur le casque du pilote, canon sélectionné, pas de X sur le G, c’est-à-dire Master Arm ON, détente à moitié engagée (ce qui active la caméra et ouvre les portes de ventilation des gaz canon), et avec… zéro obus restants… ce qui est une bonne chose !


Turkey
Le nom officiel du F-14 est Tomcat, mais la plupart des gens qui l'ont côtoyé préfèrent le surnom affectueux de Turkey (dindon). Vu du porte-avions, le F-14 en approche finale, avec volets et becs grand sortis et toutes les surfaces de vol s'agitant furieusement pour suivre le glide, ressemble à une dinde sauvage débusquée par un chasseur et s'envolant hors d'un buisson.

Rubber dog shit
Référence à Top Gun.

Troisième personne
Apparemment, Hoser aime parler de lui à la troisième personne lorsqu'il raconte anecdote.

RIOs
Bill "Hill Billy" Hill et Frank "Fearless" Schumacher sont des RIOs (officiers radar assis en place arrière des Tomcats), respectivement de Hoser et Turk.

Merge
Le merge - la fusion - est le moment où deux avions, ou deux formations d'avions opposés se rejoignent et se croisent à grande vitesse. C'est habituellement le signal du début du combat.

OinC
Officer in Command, officier responsable.

TVSU/VCR
Television Sensor Unit et Voice Cockpit Recorder. Appareils d'enregistrement de paramètres de vol et de communications intercom, les boites noires du Tomcat.

8 mai 2016

La roue du Cessna


Aujourd'hui, j'ai volé à l'arrière d'un Cessna 172 avec Vincent et Marc-Olivier, pour un café-croissant à Amboise. Ça faisait longtemps que je n'avais pas volé en Cessna 172, et c'est marrant comme certains détails peuvent faire ressurgir des souvenirs (bravo Sherlock me répondrait probablement Proust).
Par exemple, il y a la roue du train principal.



Habituellement, je vole sur des Robin, DR221 ou DR400. Une grosse dizaine d'heures de TB20 pour ma variante VP/RU. Un peu de P2002. Un aller-retour à Bernay en Beech 23 et trente minutes de Cap 10. Tous ces avions sont à aile basse, et dans un avion à aile basse quand on regarde vers le bas, on a la vue du sol largement bouchée par ladite aile.
Le Cessna 172 est en revanche à aile haute, ce qui offre une vue libérée du paysage qui défile sous l'avion, uniquement encombrée par une roue qui pend au dessus du vide. Et la présence de cette roue carénée de blanc, perdue seule à des milliers de pieds de hauteur rend au spectateur le vertige de l'abime.

Comme j'ai quasiment toujours volé en Cessna aux USA, retrouver cette roue au dessus des tâches jaunes du colza d'Ile-de-France a ravivé quelques bons souvenirs...

 KLAX, Special flight rules area.

Bay Tour, Alcatraz.

 En transit quelque part au dessus de l'Oregon.

 Hoover dam.

 Oakland.

 Grand Canyon.

6 mai 2016

Classe 2 : conditions et limitations

J'ai renouvelé mon certificat d'aptitude médicale aéronautique de classe 2 cette semaine.
En cinq ans (la validité du certificat pour les moins de quarante ans), il y a eu assez peu de changements. L'examen à proprement parler n'a pas changé. Le support papier est légèrement différent. La fin de validité, qui était auparavant étendue jusqu'à à la fin du mois d'expiration, est maintenant à date stricte.

Une rubrique m'a pourtant interpellé. Cette rubrique, Conditions - Limitations, est bien connue des pilotes myopes : c'est là que le médecin mentionne le "port obligatoire d'une correction optique". Et justement, sur mon classe 2 de 2016, il n'y a pas inscrit "port obligatoire d'une correction optique", mais un énigmatique "VML". N'ayant remarqué ça qu'en arrivant chez moi, je n'ai pas eu l'occasion de demander au médecin ce que cela signifie : heureusement qu'il y a Internet.

"UML" ? "VML" ?


Le texte européen 2011/015/R a défini une codification par trigramme des limitations de l'aptitude médicale aéronautique (les traductions sont de moi) :


Code Description Traduction
TML restriction of the period of validity of the medical certificate Période de validité restreinte
VDL correction for defective distant vision Correction pour la vision de loin
VML correction for defective distant, intermediate and near vision Correction pour la vision de loin, intermédiaire, et de près
VNL correction for defective near vision Correction pour la vision de près
CCL correction by means of contact lenses only Correction uniquement au moyen de lentilles de contact
VCL valid by day only Valide uniquement de jour
HAL valid only when hearing aids are worn Valide uniquement avec port d'aides auditives
APL valid only with approved prosthesis Valide uniquement avec les prothèses approuvées
OCL valid only as co-pilot Valide uniquement pour la position de co-pilote
OPL valid only without passengers (PPL and LAPL only) Valide uniquement sans passagers (pour les PPL et LAPL seulement)
SSL special restriction as specified Restrictions spéciales à détailler
OAL restricted to demonstrated aircraft type Restreint à un type d'appareil
AHL valid only with approved hand controls Valide uniquement avec les contrôles manuels approuvés
SIC specific regular medical examination(s) - contact licensing authority Examens médicaux spécifiques réguliers - voir avec l'autorité qui a délivré le certificat
RXO specialist ophthalmological examinations Examens ophtalmologiques spécialisés


Dans mon cas, VML signifie donc simplement que la validité de mon médical est soumise au port d'une correction optique (lunettes ou lentilles). C'est comme avant, et effectivement c'est préférable parce que sans elle je ne verrais ni de loin - ce qui se passe hors du cockpit - ni de moins loin - la carte sur les genoux, les instruments qui sont à 50 centimètres des yeux.